Yarom Ariav
Ancien directeur général du ministère des finances
Liberal | 01.07.2019
Si elle se réalise, l’annexion de la Cisjordanie serait une idiotie économique qui appauvrirait tous les foyers d’Israël.
L’une des principales raisons de la prospérité et de la croissance que connait l’économie israélienne découle de la politique budgétaire responsable du gouvernement, ainsi que du poids croissant du budget civil au détriment de celui de la défense. Les résultats de cette politique se sont traduits par une croissance accompagnée de prix stables, une réduction spectaculaire du ratio de la dette au PIB, une amélioration du niveau de vie et une résistance aux crises extérieures. Ces acquis seraient probablement perdus si une décision devait être prise d’annexer la totalité ou même une partie de la Cisjordanie. En effet, cela marquerait un véritable revirement de politique et les conséquences devraient ressembler à la “décennie perdue” qui a suivi la guerre de Kippour, lorsque l’économie israélienne a stagné en raison de la forte augmentation du budget de la défense.
Une équipe économique de haut niveau, qui a conseillé une étude sur une future annexion, a conclu que ce qui pourrait commencer par une annexion partielle déclencherait un effet domino et se conclure par une prise de contrôle par Israël de l’ensemble du territoire sans compter la gestion de la vie de ses millions de résidents palestiniens, avec des conséquences dévastatrices sur l’économie israélienne. Cela porterait atteinte à la qualité de vie et entraîneraient une baisse drastique du niveau de vie de chaque foyer en Israël. En d’autres termes, au-delà de l’impact sécuritaire et diplomatique, ainsi que des conséquences démographiques, l’annexion des territoires constitue une stupidité économique.
Fournir les services réguliers : le budget annuel supplémentaire nécessaire pour financer les aspects sécuritaires du contrôle des territoires occupés, ainsi que pour fournir des services à ses 2,6 millions de résidents palestiniens, en supposant qu’ils jouiront des mêmes droits que les “résidents permanents” (similaires au statut des résidents palestiniens de Jérusalem-Est), sera d’environ 52 milliards NIS (après compensation des impôts directs et indirects perçus des Palestiniens). Cela représente un supplément budgétaire de 12,8 % par rapport au budget de l’État de 2018. L’impact annuel moyen pour chaque ménage en Israël serait d’environ 26 000 NIS, ce qui signifie un “impôt d’annexion” d’environ 2 200 NIS par mois pour chaque ménage !
Infrastructures sécuritaires : une allocation unique de 32 milliards de NIS serait nécessaire pour assurer la prise en charge et le financement d’une nouvelle barrière frontalière de 1 800 km autour des 169 “îlots” des villes et villages palestiniens, appelées zones A et B et entourées par la zone C (où sont situées les colonies israéliennes).
Un coup dur pour la croissance : selon les estimations les plus prudentes fondées sur les conséquences économiques de la Seconde Intifada et de l’opération Protective Edge (la Guerre de Gaza de 2014), un scénario d’annexion déclencherait une vague de violence qui porterait un coup à l’économie israélienne se chiffrant à 40 milliards NIS, du fait de la baisse des investissements étrangers, de la baisse du PIB, de la détérioration du crédit des entreprises israéliennes, des dégâts du boycott, etc. Au cours de cette période, la consommation privée par habitant chuterait de plus de 20 %, ce qui ramènerait l’économie israélienne aux décennies antérieures, en plus des dommages causés au niveau de vie de chaque citoyen et résident. La vigueur de l’économie dans son ensemble serait compromise, de même que sa résistance aux chocs.
Pour faire face au budget requis dans un tel scénario, le gouvernement et la Knesset devraient faire face à deux alternatives difficiles : soit mettre tout le fardeau sur les citoyens israéliens en imposant des hausses d’impôts et en réduisant les services sociaux, option qui porterait surtout préjudice aux classes inférieures et moyennes, soit adopter une législation qui privera 2,6 millions de Palestiniens de leurs droits légaux.
La première alternative endommagerait très probablement le tissu social d’Israël et entraînera de puissantes protestations sociales comme le pays n’en a jamais vu. La deuxième option serait considérée comme de l’apartheid par la région, le monde et de larges segments de l’opinion publique israélienne, et entraînerait très probablement une réaction internationale sévère qui aggraverait encore l’impact économique de l’annexion.
Que le fardeau économique soit imposé au public ou que la discrimination soit appliquée par la loi, l’économie israélienne forte et prospère que nous connaissons aujourd’hui ne serait plus, et le prix d’une décision d’annexer des millions de Palestiniens serait payée, en grande partie, par tous les citoyens israéliens.