Shabtai Shavit
Ancien directeur du Mossad
Membre du Comité directeur du Commandement pour la sécurité d’Israël
Libéral | 7 janvier 2019
La conférence annuelle de l’Institut d’études de sécurité nationale (INSS) en février 2018 a résumé la situation d’Israël à l’occasion de son 70e anniversaire comme suit : « La situation stratégique d’Israël est l’une des plus favorables que le pays ait connue en 70 ans. » Mais – et il y a toujours un mais – les marges de sécurité d’Israël sont étroites. Dans un environnement marqué par des risques d’escalade inattendus, Israël doit profiter de l’amélioration de sa situation stratégique pour élargir ces marges étroites car, comme chacun le sait, il n’y a pas de seconde chance au Moyen-Orient.
Depuis la conférence, une escalade inattendue s’est effectivement produite. Gaza est un chaudron bouillant, la tension à la frontière libanaise a augmenté, une nouvelle vague de terrorisme émerge en Cisjordanie, la « lune de miel » avec la Russie a pris fin, notre liberté d’action en Syrie a été restreinte et l’Iran a inauguré une nouvelle route directe d’approvisionnement de Téhéran au Liban.
L’équilibre stratégique tient toujours. Mais dans cette guerre entre deux guerres, notre politique de confinement a un impact négatif important sur notre dissuasion.
Il y a deux façons d’accroître nos marges de sécurité :
L’une consiste à s’armer jusqu’aux dents et à construire un « mur de fer » – une sorte de bunker ou de ghetto – suivi, tôt ou tard, par une escalade lors d’un autre conflit armé. Malheureusement, c’est ce qui se passe juste sous nos yeux.
La deuxième est d’engager une démarche diplomatique avec l’Autorité palestinienne (AP), en commençant par un dialogue renouvelé, car lorsque pourparlers de paix i l y a, l’usage des armes diminue. Nos têtes brûlées diront probablement que cette idée est délirante ; quand les gens sont d’humeur messianique, parler avec l’ennemi gâche la fête.
Le chaos au Moyen-Orient est un terrain fertile pour créer un Moyen-Orient différent qui inclura une solution au conflit israélo-palestinien.
Les frontières du Moyen-Orient, tracées par la France et la Grande-Bretagne en 1916, ont survécu pendant un siècle. Les révolutions du printemps arabe ont accéléré la désintégration de l’ancien ordre dans une révolte contre les régimes totalitaires et en faveur de la démocratie. Ces révolutions n’ont pas réussi à instaurer la démocratie, mais ont renversé des régimes et remis en question d’anciennes frontières en Irak, en Syrie, en Libye et au Yémen, conduisant à la formation du groupe État islamique et à son ambition d’un califat s’étendant à travers la région.
La relative stabilité de certains pays et la défaite du groupe État islamique marque un nouveau chapitre dans le tracé des frontières au Moyen-Orient. À mon avis, il faudra des années pour redessiner les frontières de la région. Elle offre une occasion qui peut et doit être saisie pour résoudre le conflit avec les Palestiniens en harmonie avec l’architecture future de la région.
Clausewitz a dit que la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. L’inverse est tout aussi vrai – la politique est la poursuite de la guerre par d’autres moyens. La stratégie actuelle d’Israël est cependant unidimensionnelle : elle consiste uniquement en la force et toujours plus de force. Des concepts tels que la diplomatie, les négociations, la coexistence et la paix ont été abandonné. Il ne reste plus qu’une guerre sans fin qui dure depuis plus de 150 ans, à l’exception des accords de paix avec l’Égypte et la Jordanie et des accords d’Oslo.
Je crois qu’après 70 ans, la guerre d’indépendance devrait prendre fin et qu’un accord de paix devrait être signé. Le recours à la force ne mettra pas fin au conflit. L’instauration de la paix – aussi complexe soit-elle – exige la création des conditions nécessaires à la reprise des négociations et à leur aboutissement, tout en utilisant notre puissance militaire à des fins dissuasives. Les négociations exigent nécessairement un compromis, et le seul compromis qui a une chance d’aboutir est celui de la solution à deux États.
Pour que les progrès avec les Palestiniens et l’intégration régionale soient bénéfiques pour la sécurité, il faut abandonner la folie de l’annexion qui exclura toute possibilité de séparation entre les deux peuples et conduira à une lutte sanglante prolongée à l’intérieur même des frontières de cet État unique. Une petite minorité d’extrémistes entraîne tout un pays vers un précipice. Il faut les arrêter pour éviter l’anéantissement de la vision sioniste.