Tamir Pardo
Ancien directeur du Mossad
Membre du Comité directeur des Commandants pour la sécurité d’Israël (CIS)
Libéral | 7 janvier 2019
Dans la région
Israël a atteint un tournant décisif dans ses relations avec les pays arabes pragmatiques. Ces pays ne cachent pas qu’ils sont prêts à prendre des mesures pour normaliser leurs relations avec l’État hébreu, à condition que les progrès réalisés sur le front palestinien leur offrent une couverture politique pour ce faire.
La prise de conscience pragmatique des pays arabes qu’Israël et eux-mêmes sont menacés par les mêmes entités subversives, l’Iran en tête, a donné un nouvel élan à cette tendance. De bonnes relations avec ces pays sont prometteuses non seulement pour l’économie d’Israël, mais surtout pour sa sécurité. La coordination avec Israël, qui se fait déjà clandestinement et à une échelle limitée, pourrait évoluer progressivement vers une coordination opérationnelle avec la probabilité de déboucher sur un système de sécurité régional qui pourrait devenir un élément nouveau et important de la sécurité israélienne.
La législation sur l’annexion sera interprétée dans la région et au-delà comme une décision d’Israël de claquer la porte à une future solution à deux États. Non seulement cela empêchera tout progrès dans les relations d’Israël dans la région, mais cela mettra très probablement fin à la coopération limitée existante. L’annexion par voie législative augmentera la peur qu’ont ces pays de révoltes populaires si leur coopération avec Israël- sur le plan sécuritaire ou autre- était rendue public. De même, ils craignent que leurs ennemis, dirigés par l’Iran, n’utilisent les révélations de leur coopération avec un Israël annexionniste dans des campagnes visant à saper la légitimité du régime. Ces pays sont donc susceptibles de sacrifier un intérêt sécuritaire – la coopération avec Israël – pour préserver un autre intérêt – la stabilité de leur régime.
L’annexion sapera un autre pilier important de la sécurité d’Israël : le degré sans précédent de coopération en matière de sécurité avec l’Égypte et la Jordanie. Cette coopération est cruciale pour Israël de deux manières essentielles : premièrement, dans sa contribution à la stabilité intérieure et à celle du régime de ces deux voisins stratégiquement estimés. Deuxièmement, la coordination sécuritaire a étendu l’implantation stratégique d’Israël vers l’Est, bien au-delà de sa frontière avec la Jordanie et, en ce qui concerne l’Égypte, la coopération en matière de sécurité ne s’arrête pas non plus à la frontière internationale.
La stabilité des relations entre Israël et l’Autorité palestinienne (AP) et la possibilité d’une solution à deux États faciliteront la poursuite de cette coopération avec la Jordanie et l’Égypte, malgré l’hostilité de l’opinion publique envers Israël dans les deux pays. Toute tentative d’annexion enflammera l’opinion publique, forçant les deux régimes à réagir agressivement – même contre leur gré – notamment en suspendant leurs relations, en fermant leurs ambassades et probablement en réduisant la coopération en matière de sécurité.
Sur le théâtre international
Les principaux pays de l’Union européenne sont susceptibles de réagir durement à la législation sur l’annexion, notamment en prenant des mesures concrètes, telles que des sanctions politiques et économiques. C’est le cas de l’Allemagne, seul fournisseur israélien de plates-formes navales stratégiques, qui contribue également à leur financement. L’Allemagne est susceptible de modifier sa position en réponse à l’annexion prévue par la loi, affectant ainsi les capacités stratégiques d’Israël. La Russie et la Chine – les membres permanents non occidentaux du Conseil de sécurité des Nations unies – sont également susceptibles d’adopter des mesures punitives et de réduire leurs relations bilatérales avec Israël.
Même la réponse de l’administration Trump ne doit pas être prise pour acquise, surtout maintenant que le Parti démocrate est majoritaire à la Chambre des représentants. Une attitude américaine hostile à l’égard de l’annexion pourrait nuire à la relation la plus importante d’Israël en matière de sécurité.
Étant donné que l’annexion par voie législative – même partielle – est susceptible de déclencher une flambée de violence, l’effondrement de l’Autorité palestinienne et une prise de contrôle par Israël de l’ensemble de la Cisjordanie, on peut s’attendre à ce que la communauté internationale adopte des mesures punitives contre Israël.
Le consensus international autour de la solution à deux États s’érodera, avec des pressions croissantes sur Israël pour qu’il accorde des droits égaux à tous ses citoyens, y compris les millions de Palestiniens annexés. Israël sera confronté au pire dilemme stratégique de son histoire : il devra choisir entre le statut de pays exclu comme l’Afrique du Sud dans les années 1990 et la perte de son caractère juif.
Tous ceux qui attachent de l’importance à un Israël sûr et démocratique avec une solide majorité juive doivent prendre des mesures pour contrecarrer tout mouvement vers une annexion destructrice.